Robert Merloz. Ce nom évoque pour de très nombreux pilotes, la création d’Air Alpes, le premier atterrissage en janvier 1962 sur ce qui allait devenir l’Altiport de Méribel, le début de la formation montagne au SFA, et des fonctions de commandant de bord, chef des divisions A320 et B747-400 au sein d’Air France. Mais pour nous tous, pilotes de montagne, pilotes Air France et autres, ce nom évoque, bien plus que cela encore. Celui d’un formidable pilote aux qualités, tant professionnelles que personnelles unanimement appréciées, bref un aviateur d’une grande humilité que nous respectons tous et dont nous avions tous envié la trajectoire.
J’ai connu Robert en 1990. J’étais jeune commandant instructeur pilote de ligne sur A320. Il était mon chef de division. Mais les relations professionnelles que l’on peut nouer au sein d’une grande compagnie se limitent le plus souvent à quelques contacts hiérarchiques… En février 1991, j’ai vécu sur le terrain de Nîmes lors d’un entraînement de jeunes pilotes ab-initio, une désagréable péripétie technique qui jalonnait les premières années de l’Airbus A320. C’est à ce moment que j’ai pu apprécier les qualités de Robert en tant que chef de division. Il m’a apporté un coup de main que je n’ai jamais oublié. J’ai pu aussi déceler les contours d’un caractère bien forgé : celui du savoyard Merloz.
Bien sûr, avant cet incident, Je connaissais le nom de Robert Merloz, qui était à l’origine de l’introduction de l’A320 à Air France et qui avait réalisé, entre autre, ce survol des Champs Elysées avec le Président de la République, vol au cours duquel il avait connu quelques sueurs avec les systèmes de l’avion.
Ma curiosité et mon goût pour la relation humaine m’avaient donné envie d’aller plus loin, d’en connaître un peu plus, au-delà de la technique. C’est aussi à cette époque que mes pas (ou plutôt mes skis), m’ont conduit vers Méribel. J’ai alors découvert un aéroclub de montagne. En entrant dans cet aéroclub en 1990, ce repère de Mousquetaire rouges, j’ai d’abord retrouvé Nano Chappel. Nano, avec qui j’avais partagé de nombreux vols comme copilote sur B747 et qui me fera faire mon premier posé en montagne. Nano avait volé de très nombreuses années avec Robert Merloz comme copilote. Souvent, Nano me parlait de Méribel, de la montagne et de Robert Merloz… Moi, j’écoutais.
Intrigué et captivé, j’y ai alors découvert dans ce lieu dédié au pilotage de montagne, la magie du vol. Rigoureux, fin, esthétique. A chaque heure de la journée, à chaque instant, été comme hiver, la lumière change et met la montagne en beauté. Voler au sein du massif alpin, dans ce cadre incomparable, se poser sur les glaciers, c’est composer à chaque instant un nouveau poème pour aviateur amoureux de la sensation de liberté, du vol précis et tout simplement beau.
Revenons quelques années en arrière. Nous sommes le 21 janvier 1962, Michel Ziegler et Robert Merloz se préparent comme des navigateurs depuis Chambéry à décoller vers de « nouvelles terres ». Ils viennent de démarrer l’activité de la nouvelle compagnie aérienne Air Alpes qu’ils ont fondée et souhaitent développer plus particulièrement les vols en montagne au profit des stations de ski qui se développent. A quelques minutes de vol, Méribel et Courchevel les attendent. Une clairière près de la forêt du Fontany à Méribel a été préparée par des moniteurs de ski, neige damée, skis aux pieds. Michel pilote le Pilatus Turbo Porter et Robert le Piper PA 18. Robert a alors 25 ans et 300 heures de vol à son actif et la bande d’atterrissage préparée fait à peine 200 mètres de long sur quelques mètres de large. La méthode de pilotage en montagne n’existe pas encore.
Décision est prise de poser tout d’abord le Piper qui présente moins de risque à l’atterrissage. L’atterrissage court est très précis et Robert qui vient de poser pour la première fois un avion à Méribel doit même remettre toute la puissance du moteur pour atteindre le haut de la plateforme. Michel Ziegler le rejoint quelques instants plus tard avec le Pilatus. Ce même jour, ils iront ensuite découvrir Courchevel.
Aujourd’hui, la piste de Méribel (LFKX) est toujours à l’endroit où Robert l’a choisie, longue de 400 m et large de 15 mètres, en dur l’été.
Quelques jours plus tard viendront se poser avec un Pilatus à turbine Astazou, messieurs Desoche, Becker, André Tournier, Joseph Szydlowski, président de Turboméca, Michel Ziegler et Robert Merloz,. Ce sera pour mémoire, le jour où Joseph Szydlowski surnommé amicalement, Jojo la Turbine, citera pour la première fois le nom « d’altiport » en parlant de cette piste et de son environnement.
Robert Merloz se voit confier la gestion de cet « Altiport » de Méribel. Il est également instructeur dans le tout nouvel Aéroclub. La méthode rigoureuse de pilotage en montagne commence à être enseignée. Il faudra simultanément créer la nomenclature des altiports, altisurfaces, glaciers et former les premiers pilotes de montagne. L’expérience venant, la méthode s’affine, cette technique qui s’instruit toujours aujourd’hui se fonde sur un pilotage basé sur le choix précis du point d’aboutissement de la trajectoire choisie, de la tenue rigoureuse de la pente d’approche et d’une vitesse décidée en amont et tenue avec précision. Tous les phénomènes aérologiques connus en plaine sont à reconsidérer en montagne. Les vents, brises de pente, rafales et autres ascendances sont parfois des amis, mais deviennent souvent de redoutables adversaires. N’oublions pas que l’une des premières écoles basée à Chamonix dans le Mont Blanc est animée dès 1925 par Joseph Thoret dit « Thoret Mont Blanc » et s’appelait déjà ‘l’école des Remous », nom qui pourrait toujours parfaitement convenir aujourd’hui !
Depuis, toutes ces années, Robert Merloz est resté le même. Simplement. Il est toujours habité par un souhait profond de transmettre, ses connaissances, sous toutes les formes, publications, ses articles dans la presse donneront naissance en 1972 à un livre « Le pilotage en Montagne » écrit alors à deux mains avec Nano Chappel. Ses briefings extrêmement élaborés, d’une précision chirurgicale et d’une rigueur toute montagnarde, sa ténacité suscitent l’admiration de tous les nombreux pilotes, y compris certains chef pilotes qui ont eu le privilège de profiter de ses conseils.
Robert parle si justement de la montagne, de sa passion. Tout le monde écoute. Ses exposés sur la montagne, sur la technique du vol en altitude sont savourés «religieusement». Au point que cette transmission perdure : son cours de pilotage en montagne est aujourd’hui toujours disponible sur Internet via le site de l’Aéroclub de Méribel.
Robert est le pilote que nous voudrions tous être. Il donne un vrai sens à cette vie. C’est un pilote rigoureux, précis, exemplaire et c’est aussi un homme d’une grande force morale insoupçonnée. Il est bien sûr capable, en vrai montagnard, de surmonter de difficiles moments. Mais il sait aussi nous aider à les surmonter. Depuis des années, il inspire les plus jeunes dans leur désir de consacrer, à leur tour, leur vie à l’Aviation.
Cet éternel amoureux de l’Air (il a été pilote de planeur, pilote privé, pilote professionnel, créateur d’une compagnie aérienne, instructeur au centre national du SFA de Challes les Eaux, pilote de ligne instructeur, commandant de bord sur les plus beaux avions de son époque, chef de division aux très hautes responsabilités), est revenu à ses passions du vol en montagne. La boucle parfaite.
Personne n’oublie le côté savoyard du personnage et on ne peut s’empêcher de penser aux propos de Roger Frison Roche:
« Partir, revenir, ouvrir les portes de la vallée, s’en aller loin voir d’autres choses et d’autres gens et puis s’en retourner au pied de ses montagnes pour les contempler de nouveau, le regard modifié de toutes les expériences, voilà l’enseignement d’une vie ».
Je crois que cette phrase décrit parfaitement la vie de Robert, celle d’un homme qui a toujours voulu découvrir ce qu’il y avait derrière les montagnes d’ici ou d’ailleurs.
Jean-Claude Roumilhac
pour Aviation et Pilotes (avril 2009)